Les rudes hivers des années 50 et leurs conséquences à la ferme du Raccord :
_ Ces hivers là, pour ne pas que le lait gèle dans les bidons, ceux-ci étaient amenés auprès de la cheminée, seule source de chaleur avec la cuisinière qui chauffait elle aussi au bois. La présence de ces récipients laitiers n’était pas trop appréciée par mes frères et sœurs, car ils supprimaient quelques bonnes places à proximité du foyer.
La réserve de pommes de terre se trouvait dans le buanderie face au four à pain, et bien que protégés beaucoup de tubercules gelèrent par ce froid, de même des carottes dans le tas de sable accoté au mur du hangar.
La famille Guinaudeau était rarement au complet, au fil des années, les aînés étaient soit partis pour leurs études, soit au service militaire ou alors, avaient quittés le domicile pour leur emploi ou profession.
La tablée se composait cependant d’une bonne douzaine de convives, et il fallait pour les nourrir que j’épluche et fasse cuire 60 pommes de terre par jour. Il me fallait aussi 20 litres de lait quotidiennement pour faire les laitages du midi et du soir : riz, semoule, bouillie au chocolat ; et aussi les bols de cacao du petit déjeuner et du goûter. Mon frère Adrien se souvient que quand c’était lui qui préparait le chocolat du matin, il y mettait 40 morceaux de sucre. Quand nos camarades d’école passaient à la maison et voyaient ces récipients de laitage comme le riz au lait, ils étaient tous impressionnés par la grosseur des ustensiles et la quantité des produits.
La présence de viande de boucherie sur la table était fort rare pendant l’hiver, c’était plutôt celle du cochon ainsi que sa cuisine qui y étaient servies.
La cuisine du cochon :
C’est le grand- père André qui est venu tuer le premier cochon au Raccord, puis ce fut le père Gris, boucher à la Bretonnière qui continua à tuer les cochon et les découper. Ces jours là je n’allais pas à l’école, maman trop accaparée par la cuisine ne pouvait pas s’occuper des tous petits, alors, c’est moi qui en était chargée.
Je n’ai jamais pu tenir la gamelle dans laquelle s’écoulait le sang de l’animal giclant de son flanc transpercé ; de même que supporter ses cris perçants qui me faisaient mal aux oreilles et me glaçaient les os. Quand maman n’était pas disponible pour le faire, elle demandait à une voisine de venir la remplacer pour cette tâche, il ne fallait pas compter sur moi. Fernand Baudry qui est le parrain de Daniel, lui faisait tous les ans cadeau d’un agneau qui se retrouvait sur la table au repas du dimanche de Pâques le plus souvent. A son immolation ou bien à celui d’un cabri, c’était pire, je m’enfuyais de la maison et ne revenais que quand j’étais sûr de ne plus entendre un seul cri d’agonie.
Pour reparler du cochon, la personne qui tenait le récipient devait sans cesse touiller le sang qui s’écoulait pour ne pas qu’il coagule. Celui-ci servait ensuite à confectionner les boudins et aussi la fressure. La cuisine prenait une journée entière, car si une partie de la viande était cuite et consommée dans les jours qui suivaient, une autre était mise dans des bocaux et stérilisée. Une grande animation régnait ce jour là à la maison, parents, voisins, amis venaient pour certains aider et emportaient une partie de la cuisine, comme par exemple les boudins et les rillons. Ils nous les rendaient ensuite quand ils tuaient leur goret : Cet échange permettait de ne pas faire une cure prolongée de charcuterie et de pouvoir quand même y goûter de nouveau entre deux cuisines de cochon.
Le grand amusement du tueur de cochons de cette époque consistait à repérer un jeune garçon qui semblait découvrir cette mise à mort pour la première fois. Il lui demandait alors de prêter son couteau, instrument que tout campagnard avait dans sa poche, et ce, pour qu’il puisse couper la queue du goret. Généralement, le gamin obéissait et voyait médusé l’objet introduit dans le trou du cul de la bête où il disparaissait comme par enchantement.
Pour retrouver la possession de son bien, le drôle devait alors s’armer de patience et attendre que l’animal soit vidé de ses entrailles, et pendant ce temps, il était l’objet de quelques moqueries pour sa naïveté.
Si un homme entait dans la cuisine au moment où les femmes étaient affairées à confectionner les boudins, il n’était pas rare qu’il s’entende dire que sa visite tombait à pic pour que celles-ci puissent enfin connaître les bonnes dimensions à donner aux boudins.
Quand arrivait l’été, la volaille de la basse-cour prenait la relève avec aussi quelques lapins, et là encore, la mise à mort n’a jamais été ma spécialité. Un jour, alors que je demandais à mes frères de tuer un canard pour le repas de midi, ils m’ont répondu qu’ils n’en feraient rien, parce que c’était à moi de le faire, me disant qu’il fallait que je le fasse pour apprendre et que le faire était une nécessité.
J’ai pris alors mon courage à deux mains, puis la hachette qu’ils me tendaient. Tenant le canard d’une main, celui-ci ayant le cou sur le billot et de l’autre brandissant la hache, je leurs ai dit que je ne pouvais pas. « Ferme les yeux et tape » me cria l’un d’eux : ce que je fis. Je rouvris les yeux en même temps que je relâchais le sacrifié, je poussais alors un grand cri en voyant le canard sans tête traverser la cour et aller finir sa course dans le fossé. Chez mes frères, c’était l’hilarité, ils se doutaient bien que c’était de cette façon que ça allait se terminer, mais après ils ne m’ont plus embêtée et quand une nouvelle exécution était nécessaire, je demandais à Joselyne de s’en arranger, car pour elle, et bien que très jeune, ça ne lui posait pas de problème.
Au casse-croûte du matin, mes frères se cuisinaient des oeufs : sur le plat ou en omelette. Christian ne prenait pas cette peine, il en gobait plusieurs à la fois.
En hiver à cette époque, il se pêchait beaucoup de piballes ( civelles ) que les pêcheurs occasionnels allaient vendre au porte à porte. La pêche pratiquée la nuit était vendue à un prix dérisoire comparé à aujourd’hui ; c’est aussi pour cette raison que nous en avons mangé beaucoup. Ces pêcheurs n’étaient pas tous des professionnels, et la plupart se livraient à cette activité après leur labeur quotidien habituel. Ils proposaient également au gré de leur bonne fortune : crustacés, anguilles, poissons, coquillages à des prix qui pouvaient être abordables aux familles ayant des revenus très modestes.
Les jours de gel, un verre de vin chaud bien sucré aidait pour se réchauffer au cours de la journée. Si le soir le froid semblait avoir altéré la santé de quelques uns, je leurs servais un grand bol de lait bien chaud auquel les plus vieux ajoutaient de la goutte ( eau-de-vie ), cela leur servait de médicament.
La tablée des Guinaudeau au Raccord.
Après le souper, les briques que l’on avaient mises à chauffer au feu de la cheminée où dans le four de la cuisinière étaient récupérées une fois bien chaudes. Ensuite, on les enveloppait dans du linge usagé pour aller les glisser dans les lits glacés de la chambre à l’étage qui était le dortoir des enfants.
Il n’y avait pas de couvertures en excès, aussi pour avoir moins froid, nous couchions quatre par lit, voir six quand il gelait dur : 3 à la tête, 3 au pied ! On avait pris soin de boucher avec du carton les carreaux de la fenêtre dont un ou deux étaient régulièrement cassés.
Avant d’aller me coucher, je mettais le linge à sécher devant la cheminée. Le lendemain quand j’enfilais ma blouse pour aller à l’école elle n’était pas toujours bien sèche ; mais qu’importe, d’ailleurs je n’avais pas à choisir n’en possédant qu’une!
Il en était de même pour mes frères et sœurs, je ne sais pas si ils en ont le souvenir, mais moi, il m’arrivait d’être transie de froid à faire le chemin de l’école, tant et si bien qu’une fois, je me suis évanouie en y arrivant. C’est Madame Ratier notre cantinière qui s’est occupée de moi : elle me fit asseoir auprès de la cuisinière sur laquelle chauffait une grande marmite, et elle me donna à boire un bol de lait bien chaud. Une fois que je fus réchauffée et réconfortée, je repris ma place dans la classe.
Quand il nous arrivait d’essuyer une averse sur le chemin de l’école et que nous arrivions trempés, Madame Ratier nous débarrassait de nos vêtements mouillés et les mettait à sécher devant sa cuisinière. Elle faisait de même quand les écoliers des autres villages de Lairoux arrivaient trempés eux aussi, victimes des intempéries.
Les époux Ratier
Fernand Ratier et Madame Ratier la cantinière, puis juste derrière elle Raymond