En matière d'aménagement
paysager, le «modèle Guinaudeau» est une référence internationale.
Au point que ce patronyme est presque devenu pour les professionnels
un nom commun, comme le frigidaire, la durit et la poubelle...
En l'occurrence, il s'agit d'un type de haies qui mêle différentes
essences locales, comme les agriculteurs ont su les faire pendant
dix siècles. Une idée que Claude Guinaudeau a ranimée, alors que le
modèle agricole productiviste des années 60-70 avait bien élargi les
mailles du bocage. Les rares haies plantées alors étaient le plus
souvent de rébarbatifs murs d'épicéas.
Ingénieur en jardinage
Mais Claude Guinaudeau ne réserve pas le bénéfice de ses compétences
aux spécialistes : depuis près de vingt ans, il en fait profiter les
lecteurs de notre journal sous le pseudonyme de Coatbleuniou. Sa
rubrique du vendredi accroche l'œil même de qui n'a pas la main
verte, par les somptueuses photos qui l'illustrent.
C'est un autre des talents de l'auteur, qui a réalisé autour des
végétaux une collection de 100.000 diapositives. «Malgré tous mes
voyages, je n'ai jamais raté ce rendez-vous hebdomadaire»
souligne-il. Car ce «jardinier» de talent a semé sa science aux
quatre vents du monde, et particulièrement du tiers-monde.
Fils d'agriculteurs vendéens, Claude Guinaudeau aurait peut-être pu
reprendre la ferme familiale, puisqu'il était l'aîné de... seize
frères et sœurs! «Mais l'ascension sociale, c'était de faire des
études ou de devenir fonctionnaire. Nos parents ne nous ont pas
poussés à rester à la terre».
La terre, Claude Guinaudeau ne s'en détachera pourtant jamais
vraiment. Il évoque avec plaisir ce temps (heureux?) de la
polyculture familiale, avec les multiples animaux de la ferme, la
taille des vignes (car la Vendée produit de sympathiques petits
vins) à laquelle il consacrait ses vacances de Pâques.
Comme la Bretagne, la Vendée est partagée en différents «pays» aux
caractéristiques géographiques contrastées, et aux populations
quelque peu antagonistes : le marais, la plaine et le bocage.
«Né aux confins des deux derniers, j'étais calotin par ma mère et
anticlérical par mon père» souligne-t-il.
Le remembrement en Finistère
Après des études secondaires en lycée agricole, Claude Guinaudeau
sort de l'école nationale supérieure d'horticulture de Versailles
avec le titre d'ingénieur. Suit l'inévitable «stage» en Algérie,
puis, en 1961, il découvre la Bretagne, où la Chambre d'Agriculture
du Finistère lui offre un poste de chef du service foncier et
forestier. C'est-à-dire qu'il est chargé de l'information sur le
remembrement.
«On mettait déjà les agriculteurs en garde contre ses excès, mais
c'était une opération nécessaire, car les partages successifs des
terres avaient rendu les parcelles infimes» dit-il. Plus tard,
peut-être pour faire mentir l'imagerie populaire qui traite les
Vendéens de «ventres-à-choux», l'ingénieur participe avec la Sica de
Saint-Pol à la «révolution agricole» bretonne. « J'ai contribué à la
diversification des productions : les carottes, les endives et les
échalotes se sont ajoutées aux choux-fleurs et aux artichauts».
Fort d'une expérience pionnière au siècle dernier sur le littoral
vendéen, il lance même la culture de bulbes à fleurs pour le compte
d'entreprises hollandaises. «Puis, nous avons décidé de produire les
fleurs nous-mêmes». Voilà pourquoi en pays de Léon, de fières
tulipes se haussent quelquefois au-dessus des têtes d'artichauts...
L'expert de la haie brise-vent
Court passage par l'industrie phytosanitaire «pour compléter ma
formation par une expérience commerciale», puis Claude Guinaudeau
trouve au sein de l'Institut pour le développement forestier,
(organisme qui conseille les propriétaires de forêts privées dans la
gestion de leur patrimoine), de nouvelles missions à la hauteur de
sa vocation pédagogique. C'est là que la haie brise-vent devient sa
matière d'excellence.
Nommé expert auprès des Nations-Unies, l'horticulteur transpose au
Sénégal, au Mali, au Tchad et jusqu'en Chine, les méthodes mises au
point pour les exploitations agricoles françaises. Il s'agit de
lutter, d'urgence, contre la sécheresse et la désertification dans
ces pays. «Tous les paysans du monde se ressemblent : indépendants,
jamais découragés, viscéralement "patrons" de leur territoire»
constate-t-il.
Le consultant de l'ONU, qui estime et respecte ces hommes de la
terre de tous horizons, apprécie aussi le dépaysement que lui
procurent ses déplacements professionnels. «Je n'aurais pas aimé
voyager juste pour faire du tourisme».
Chocs culturels
Mais s'il se sent tellement à l'aise dans ces missions sahéliennes,
c'est surtout, pense-t-il, parce qu'il a reçu dans sa jeunesse deux
«chocs culturels».
«Lors d'un voyage d'étude aux Etats-Unis, j'ai été fasciné par
l'exactitude, la rigueur dans le travail, l'organisation des
Américains. Cela m'a beaucoup servi ensuite. La guerre d'Algérie m'a
fait découvrir une autre culture, sans rapport avec ce que je
croyais. Cette révélation a fait sauter un certain complexe de
supériorité, et m'a définitivement mis à l'écart des problèmes de
racisme».
Lauréat d'un concours pour l'aménagement paysager du site historique
de Nouville, en Nouvelle-Calédonie, Claude Guinaudeau a mené encore
bien d'autres chantiers : de l'embellissement des fermes (« ce sont
aujourd'hui de véritables jardins » observe-t-il) à l'aménagement
des sites industriels et des voies de circulation (TGV et
autoroutes), il s'implique dans tout ce qui concerne le paysage.
Le goût de transmettre
Mais toujours, sa priorité consista à former des techniciens,
eux-mêmes futurs conseillers dans ces domaines variés. «J'ai fait du
développement toute ma vie» dit-il. «Le développement réussi, c'est
apprendre aux autres à se passer de vous».
A 65 ans, Claude Guinaudeau, fixé dans la région natale de son
épouse, n'entend pourtant pas que l'on « se passe » absolument de
lui : s'il ne manie plus la bêche que pour son plaisir, il reste
membre actif de plusieurs organismes professionnels, donne des cours
à l'école forestière de Nancy, collabore à différentes publications,
et trouve le temps de se livrer à une activité bénévole, en tant
que... membre du jury national pour le fleurissement de la France.